Lorsque j’étais adolescent j’avais l’habitude d’utiliser ce qu’on nommait alors un transfert (papier-transfert) qui permettait d’imprimer sur un papier un motif, un texte ou une image que l’on souhaitait ensuite transférer sur un vêtement. En fonction des tissus employés, de l’encre, du temps d’application, etc le résultat n’était pas systématiquement le même. De plus, il fallait penser au texte, s’il y en avait, car en l’imprimant de manière à pouvoir le lire, il se retrouvait alors à l’envers sur le support final. La technique à employer était alors d’utiliser une impression en miroir afin que le texte puisse se retrouver sur le support tout en étant lisible. Où se situerait le contre-transfert dans cette situation ? Pourrait-il s’agir du motif en miroir sur le papier-transfert ?Peut-être que dans l’exemple que je cite, c’est la représentation imagée dans le psychisme du sujet qui vient à utiliser le matériel transférentiel qui représente le transfert. C’est à dire le papier-transfert qui viendra ensuite s’appliquer sur le vêtement. Si j’utilise cet exemple c’est parce que dans ma singularité c’est un des souvenirs qui me vient à l’esprit à l’évocation du transfert en psychanalyse. Pour la suite de cet exposé je vais utiliser le terme d’analyste pour parler du psychologue référé à l’analyste. Il me semble que c’est la position que j’essaie d’occuper malgré le fait que mon analyse personnelle ne soit qu’à son commencement. J’utiliserai ainsi le terme d’analysant pour parler du patient, de celui qui vient consulter le psychologue avec un désir d’analyser ce qui lui arrive.Lorsque l’on est en situation de psychothérapie référé à la psychanalyse, l’analyste, va lui-même être soumis à des mouvements qui émergent du transfert même de l’analysant sur l’analyste. A défaut l’analyste va se créer des représentations en rapport avec ce que le sujet vient lui présenter comme matériel. C’est donc avec sa singularité, son vécu qu’il va faire des liens avec ce qu’apporte le sujet en thérapie.Pour Rolland il s’agit de : « l’opération par laquelle le sujet se réfléchit dans le Nebenmensch, acquérant ainsi la faculté de se découvrir (ou se lire) dans ce reflet, et par laquelle s’inaugure la différenciation d’une substance du moi, depuis la substance de l’autre. »S’il s’agit d’un reflet du sujet dans le psychisme d’un Nebenmensch, l’homme d’à côté, peut on parler du discours d’un inconscient à l’autre ? Dans la situation d’analyse, la notion de transfert vient faire état de ce que, dans la rencontre avec l’analyste, l’analysant transfert de sa première relation d’objet, sur la relation qu’il va établir avec l’analyste. La notion de contre-transfert vient alors se signaler chez l’analyste en écho au transfert vécu par l’analysant. Plusieurs théories se sont posées sur ces notions de contre-transfert.En utilisant le terme de Nebenmensch et en décrivant la situation de transfert comme la réflexion du sujet dans l’espace psychique de l’autre qui lui est offert. Je tente de raccrocher cette situation d’analyse à celle où le bébé se reconnaît dans le reflet de ce qu’il observe chez sa mère. Cette première expérience va venir permettre, pour le sujet en devenir, à la fois d’unifier son image corporelle et de la différencier de celle de son premier Autre, la mère. L’enjeu du transfert me semble alors se poser en terme d’une régression possible pour l’analysant par le biais d’un reflet qu’il observerait chez l’analyste dans la situation d’analyse. Quid de la capacité de l’analyste à supporter ses propres mouvements contre-transférentiels induits par le transfert du patient ?Certains auteurs semblent dire qu’il faut que l’analyste soit le plus neutre possible et qu’il tâche de contrôler son contre-transfert. C’est également l’idée que j’ai partagé au début de mes études de psychologie en pensant qu’il serait plus facile de travailler en analyse. En fait avec les quelques entretiens que j’ai pu mener, ainsi que le commencement d’une analyse, j’ai été amené à changer ma vision des choses. D’une part parce que je ressentais que quelque chose semblait être entravé par ce contrôle des mouvements contre-transférentiels, sans vouloir dire que j’ai réussi à tous les identifier. J’ai alors commencé à prendre en compte ce qui semblait me venir en étant confronté à la situation qu’exposait l’analysant. Peu à peu j’ai tenté de travailler à partir des éléments qui surgissaient dans la situation clinique d’analyse par le biais du contact avec le patient.Qu’en est-il dans la clinique avec un symptôme d’allure psychotique ? Peut-on parler d’analyse ?Je souhaiterai aborder la notion d’identifications complémentaires abordée par Goyena citant Racker : « Les identifications complémentaires, note Racker, se produisent du fait que l’analysant traite l’analyste comme un objet interne, raison pour laquelle celui-ci se sent traité comme tel, c’est-à-dire s’identifie avec cet objet. » Dans une certaine mesure l’analyste vient être introjecté par l’analysant. C’est à mon sens à ce moment que se produit la rencontre analytique.Chez les personnes souffrant d’un symptôme d’allure psychotique le travail va pouvoir s’articuler sur la capacité de l’analyste à être perçu par l’analysant comme étant un bon objet qu’il va pouvoir introjecter. Il s’agit alors d’une régression qui vient se signifier dans le travail analytique. Cetterégression me semble être nécessaire à la possibilité d’une rencontre entre l’analyste et le patient souffrant d’un symptôme d’allure psychotique. Cette régression vient cependant mettre à mal l’analyste dans sa position de supposé savoir. C’est à cet endroit que Jung parle de la nigredo :« Certaines situations mettent l’analyste au défi de supporter cette tension sans agir. L’émergence d’une nigredo en est une, l’angoisse qui émerge chez le patient pouvant contaminer le thérapeute. »La relation dissymétrique va engendrer un travail de l’analyste qui permet d’entrer dans le travail thérapeutique avec le patient porteur d’un symptôme d’allure psychotique : « Lorsque l’analyste prend finalement conscience du fait qu’il est entré dans la dynamique psychique de la Nigredo, il lui devient possible de se placer à juste distance des projections du patient, ce qui permet au processus thérapeutique de véritablement démarrer. »Pour recevoir le symptôme d’allure psychotique et proposer une thérapeutique il s’agit alors pour l’analyste d’être en capacité d’accepter d’entrer dans cette nigredo et de se tenir à distance des projections du patient. Le travail proposé relèvera du type de symptôme que présente le patient. Il me semble gageur, qu’une fois que la rencontre entre l’analyste et son patient a eu lieu il soit encapacité de pouvoir proposer un travail thérapeutique.J’ai parlé plus haut d’une régression amenant à la rencontre avec le patient porteur d’un symptôme d’allure psychotique. Cette régression porte sur le moment de fixation qui à originé le trouble, le manquement conduisant au symptôme. De ce fait, à force d’un travail sur ces aspects régressifs, à force de permettre au patient psychotique de rencontrer un déroulé différent de celui qu’il a rencontré, et qui a généré son symptôme, le patient va se confronter à un objet qui sait se décaler de ses projections. Le sujet va rencontrer en l’analyste un objet capable de supporter ses attaques.Le traumatisme menant au symptôme psychotique me semble se former à une période archaïque.De ce fait l’inscription symbolique de ce traumatisme n’a pas pu être mis en mot. Il peut être intéressant de proposer un travail par le biais de médiums permettant de convoquer les représentations archaïques chez le sujet. C’est pourquoi je proposerai, conjointement à un espace de parole, des ateliers de travail de la voix, des ateliers de type créatif par le biais d’un médium malléable de type pâte à modelée, peinture, etc. Ces ateliers me semblent adaptée car ils viennent convoquer le sujet en stimulant des modalités corporelles. La reviviscence de ces stimulations des modalités corporelles dans un environnement cadré par un professionnel en position symbolique de mère va venir faire écho à la rencontre du sujet avec son premier objet.Le travail conjoint entre un atelier permettant une reviviscence au niveau corporel et un espace de parole va permettre de rejouer quelque chose, chez le sujet, par l’intermédiaire de l’appareil psychique de l’analyste, lui permettant de se décaler de son vécu traumatique ayant donné lieu à la formation du symptôme d’allure psychotique.A quel moment interviendra une perlaboration permettant de se défaire du symptôme d’allure psychotique ? Doit-on s’en défaire ? Ne s’agit-il pas plutôt du glissement d’un symptôme d’allure psychotique à un autre symptôme d’allure psychotique sur le continuum sintomatique du sujet ?
Bibliographie
Goyena A., Heinrich Racker ou le contre-transfert comme nouveau départ de la technique psychanalytique,Revue française de psychanalyse, 2006/2, Vol. 70, Paris, PUF, 2006
Martini S., Traduit de l’anglais par Lacour L., L’analyse incarnée : corps et processus thérapeutique, Cahiersjungiens de psychanalyse, 2016/2, n°144, Paris, Les cahiers jungiens de psychanalyse, 2016
Neuquelman-Denis F., En son for(t) intérieur, Cahiers jungiens de psychanalyse, 2015/2, n°142, Paris, Lescahiers jungiens de psychanalyse, 2015Rolland J.-C., Clinique du contre-transfert, Libres cahiers pour la psychanalyse, 2009/2, n°20, Paris, InPress,2009
Geoffroy Klimpel, psychologue clinicien psychanalyste